SINNERS
I am useless.
Les bureaux se désemplissaient à mesure que les heures tournaient, comme dans n'importe quelle entreprise. Proche de la machine à café, assise sur sa chaise, Wakaba regardait les heures défiler sans rien dire; les autres se parlaient autour de quelques boissons chaudes devant le distributeur mais aucune ne lui adressa un regard; pas un sourire, pas un échange. Aujourd'hui encore, personne ne lui proposerait un café. Aujourd'hui comme tout les autres, elle était seule.
Hé, Chubbiko, lui disait-on simplement en souriant. C'était
mignon, qu'ils disaient. Elle ne trouvait pas ça mignon mais insultant. Et combien de fois avait-elle rêver se faire un ami qui lui aurait la force qu'elle n'a pas, celle nécessaire pour la sortir de cette prison en verre et en béton? Incapable de s'extirper seule de son marasme, Wakaba avait rêvé d'un ami qui serait plus fort qu'elle. Un ami imaginaire, quelqu'un qui la'attendrait chez elle après ces jours de travail, qui accepterait de la regarder comme une humaine et pas comme une collègue rasoir, une tokusatsu ou une gêneuse. Pas comme la "fille de", la "porteuse de", la "grosse du bureau D"... juste la voir pour ce qu'elle était. Une petite personne grise qui se battait contre son propre père.
Mais elle avait accepté, et renier Genjirô; assumer ses actes n'était pas toujours évident et la douleur que la fille ressentait était la même que celle de son père : celle de ceux qui s'affrontent mais qui s'aiment. Et le temps qui ne passait pas, et ces dossiers ennuyeux, insipides, ces enquêtes terrifiantes, ces collègues sans égards. Adachi avait prit le dernier donut de la tablée en s'excusant...
"ça va, tu as de la réserve Sado-kun!", avait-il plaisanté; elle n'avait rien osé dire. Les autres avaient ri, comme toujours. Parce que c'était
mignon. Mais ce n'était ni drôle, ni mignon d'être chubbiko, ni même d'être Nikuhime. La jeune femme avait rangé ses affaires et était partie sans demander son reste à l'heure pile, ne saluant pas ses collègues qui discutaient devant l'ascenseur. Elle avait préféré prendre les escaliers, se faisant des idées tandis qu'elle les descendait; penseraient-ils qu'elle les a pris pour faire du sport, pour maigrir? Que pensaient-ils réellement? Tout cela la mettait terriblement mal à l'aise.
L'air était à la fois lourd et frais, quand le vent daignait pointer le bout de son nez; Wakaba avait l'impression dérangeante de sentir la sueur, se reniflant un peu. Peut-être n'était-ce que son imagination... elle avait besoin de prendre l'air là où personne n'allait en soirée, dans un endroit calme et paisible. Le métro la rendit encore plus anxieuse qu'elle ne l'était déjà, ôtant sa veste de costume pour remonter les manches de sa chemise à damier et s'essuyer le front. Elle ferma les yeux un instant, attendant d'arriver à Rengatei. Peut-être la sérénité" du temple l'aiderait à ne pas pleurer. C'était dur de tenir bon, de garder la face; elle pleurnicha un peu dans le métro, silencieusement, avant de descendre avec les autres passagers et marcher un long moment le long de la promenade pavée menant au temple, la lune pour seule compagne.
Sa grand-mère parlait souvent de l'importance de la religion, du respect des kamis, des traditions, ayant fait de Wakaba une personne croyante sans vraiment l'être; du moment qu'on se sent en sécurité... elle sonna la cloche du temple et pria un instant, sans trop savoir quoi demander, pudique. Elle se plaignait de tout et n'avait rien à demander; drôle de femme. Elle qui était l'hôte de la puissance de Kanayama-hime, le temple qui contenait la présence fantôme de sa propre mère, le bout de viande qui contenait les espoirs du PDG de la Yomotsu. Elle-même se pensait une fille grise, trop grosse, trop ennuyeuse : elle voudrait être quelqu'un d'autre. Avoir quelqu'un qui lui parle, des fois. Avoir un ami.
Qui prier? Rien ne lui vint mais les mains jointes devant le visage, Wakaba pria fort pour qu'en cette heure avancée, quelqu'un soit là, au temple. Quelqu'un qui ne la jugerait pas. Juste une présence. Elle essaya de s'imaginer un ami, même s'il n'existait pas, et cette sensation lui donna envie de pleurer mais elle se retint. Ses poches pleines de snacks ne contenaient pas longtemps ses angoisses car quand elles étaient vides et son estomac plein, son moral restait toujours creux. Qui prier, que demander? Si les kamis existaient, qu'avaient-ils à faire d'une petite bonne femme comme elle, qui se plaignait constamment?
La cloche tinta dans le vent du soir, et rien ne se passa.
Elle resta seule un moment, à errer aux abords du temple avant de décider de rentrer chez elle.